Les facteurs de risque génétiques

La grande majorité des cas de maladie d'Alzheimer correspond à des patients pour lesquels il existe un déterminisme multifactoriel, y compris parmi les formes précoces. La part génétique de ce déterminisme est importante et est représentée par différents facteurs de risque. 
 
Le premier et principal de ces facteurs est l’allèle 4 du gène APOE (APOE4) codant pour l’apolipoprotéine E. Le gène APOE existe en effet sous trois « formes » que l’on appele des allèles E2, E3 (le plus fréquent) et E4. Alors que les porteurs de l’allèle E2 ont moins de risque de développer une MA, les porteurs d’au moins un allèle E4 ont un risque plus élevé. L’importance de ce facteur de risque est majeure, à la fois de par la force du risque associé et par la fréquence importante. En effet, : près de 10 % des porteurs d’un allèle APOE4ayant atteint l'âge de 75 ans auront développé une MA et 33% des porteurs homozygotes APOE4/E4 ayant atteint l'âge de 75 ans auront développé une MA. A l’âge de 85 ans, ces chiffres s’élèvent à près de 30% et 50 à 70%, respectivement pour les hétérozygotes APOE3/E4 et pour les homozygotes APOE4/E4 (Génin et al., 2011). Dans la population générale caucasienne de plus de 54 ans, la proportion de porteur d’un allèle APOE4 est de 24 %, et homozygote APOE4/E4de 2% (moyenne des méta-analyses sur AlzGene). L’importance de ce facteur de risque génétique pour les individus concernés mais aussi au titre de la population générale, justifie de programmes de recherche en prévention thérapeutique. Pour en savoir plus, visitez la page « où en est la recherche ».
 
Grâce à de grandes études d’association cas témoins, de nombreux autres facteurs de risque ont été identifiés. Les premières techniques pangénomiques disponibles historiquement ont été les puces à ADN, qui ont été utilisées dans de grandes études internationales appelées Genome Wide Association Study(GWAS).  En France, ces études sont menées par l’équipe du Dr Jean-Charles LAMBERT et du Pr Philippe Amouyel (institut Pasteur de Lille) et les résultats de référence sont rapportés dans le cadre de la grande collaboration internationale IGAP  (International Genomics of Alzheimer’s Project IGAP).
Ces études ont permis d’identifier 25 régions polymorphiques de l’ADN associées à la maladie d’Alzheimer (Kunkle et al., 2019). La grande majorité de ces variations génétiques sont très fréquentes et ont un effet très modeste sur le risque de développer la maladie. Pris isolément, ces facteurs de risque ont un effet trop faible pour avoir une utilité clinique. Récemment, des scores polygéniques ont été développés afin d’essayer de prendre un compte l’effet cumulé de ces variations génétiques fréquentes. Ces scores prenant en compte l’effet de plusieurs variations génétiques fréquentes chez un individu, suggèrent que ces facteurs de risque fréquents pourraient moduler l’effet d’APOE4, qui reste le facteur de risque avec l’effet le plus important. Les scores polygéniques actuels ont le désavantage de ne pas prendre en compte les facteurs de risque rares récemment identifiés, dont certains ont un effet très important (voir ci-dessous). Ainsi, si ces scores peuvent être utiles dans le cadre de la recherche, il ne paraît pas adapté de les utiliser dans la pratique clinique. Enfin, d’autres facteurs de risque communs pourraient être identifiés à l’avenir, grâce à des études encore plus puissantes, comme par exemple l’étude EADB menée par Jean-Charles Lambert, et les consortia internationaux. 
 
C’est à partir de 2012 et l’application du séquençage à haut débit de l’exome (l’ensemble des régions de notre ADN codant pour des protéines) et du génome entier, que des découvertes majeures sur les nouveaux facteurs de risques ont été possibles. Notre équipe a été pionnière dans cet effort dans le cadre de la maladie d’Alzheimer jeune, pointant les variations génétiques très rares du gène SORL1, à partir de quelques familles, comme ayant un effet majeur dès l’année 2012 (Pottier et al., 2012). Le séquençage de l’exome dans le cadre d’études d’association cas témoins de patients français a permis de confirmer l’impact des variants rares de ce gène (Nicolas et al., 2015 ; Campion et al., 2019) ainsi que d’élargir et de confirmer les résultats obtenus par d’autres équipes (Jonsson et al., 2013 ; Steinberg et al., 2015) concernant les gènes TREM2 et ABCA7 (Le Guennec et al., 2016 ; Bellenguez & Charbonnier et al., 2017).  En France, ces études sont coordonnées par le Dr Gaël Nicolas (CNR-MAJ Rouen) et le Dr Jean-Charles Lambert (Institut Pasteur de Lille) et s’intègrent également maintenant dans des collaborations internationales.
 
A ce jour, certaines variations génétiques rares de ces 3 gènes majeurs TREM2,SORL1et ABCA7 sont donc considérées comme des facteurs de risque majeurs de maladie d’Alzheimer. Le risque, quantifié en odds ratios, s’étend de 2 à près de 30, en fonction des catégories de variations étudiées. Certaines équipes s’interrogent sur la nature presque causale à elles seules de certaines variations, mais les preuves sont pour le moment insuffisantes pour conclure sur cet aspect. Ainsi, ils sont considérés comme des facteurs de risque génétiques et ne peuvent pas être utilisés pour le conseil génétique (dont le diagnostic présymptomatique) dans un cadre médical, à l’instar du facteur de risque commun APOE4. 
 
Ces facteurs de risque, appelés rares, sont en fait bien plus fréquents que leur nom le suggère. En effet, ces gènes portent différentes variations génétiques qui sont toutes rares voire quasi individuelles, prises isolément. Néanmoins, à l’échelle de chaque gène et d’une population, la somme de ces variations génétiques rares s’élève de 0,6% (TREM2) à 3% (ABCA7) dans la population française.
 
Une étude, menée par le CNR-MAJ de Rouen, cherche à déterminer si les résultats concernant APOE4TREM2SORL1et ABCA7 pourraient avoir un intérêt pour le patient et son médecin. Il est envisageable que les stratégies de recherche thérapeutique actuellement en cours pour l’APOE puissent également être étendues aux autres facteurs de risque génétiques à fort effet (cf. où en est la recherche thérapeutique).
 
Au total, la grande majorité des patients avec une maladie d’Alzheimer n’ont pas une forme dite monogénique, autosomique dominante, où une variation causale dans un seul gène est suffisante pour développer la maladie. En effet, ces mutations, présentes dans les gènes APPPSEN1 ou PSEN2, sont extrêmement rares. La majorité des patients a une forme dite complexe ou multifactorielle, dans laquelle plusieurs facteurs de risque génétiques et des facteurs de risque non génétiques (mal connus) ont participé au développement de la maladie. Les études de jumeaux ont montré que les facteurs de risque génétiques jouent un rôle très important dans le développement de la maladie d’Alzheimer. Les études génétiques internationales ont permis d’identifier de nombreux facteurs de risque. Pris isolément, seule une poignée de ces facteurs de risque ont un effet important. Il est très probable que la combinaison de ces facteurs de risque génétiques chez un individu donné conditionne en grande partie le développement de la maladie. De manière intéressante, la quasi-totalité de ces facteurs de risque pointe l’agrégation et la toxicité du peptide Aβ, permettant de valider, avec les formes autosomiques dominantes, la cascade amyloïde. En effet, certains facteurs de risque favorisent la sécrétion d’Aβ quand d’autres réduisent sa clairance ou modulent sa toxicité. 
 
Ainsi, les études sur les facteurs de risque génétiques dans la maladie d’Alzheimer ont deux conséquences et objectifs majeurs :

1. elles ont permis de valider la cascade amyloïde et de montrer qu’elle n’était pas exclusive des rares formes autosomiques dominantes
2. elles permettent d’entrevoir la prévention de la maladie chez les individus à risque.

En effet, si les stratégies de prévention de la maladie s’avèrent efficace dans les années à venir dans les formes autosomiques dominantes ou chez les porteurs APOE4, il deviendra crucial d’être en mesure d’identifier quels individus non malades sont à risque de développer la maladie à l’avenir, du fait d’une certaine combinaison de facteurs de risque génétiques. Un des enjeux majeurs de cette médecine dite personnalisée ou génomique, sera donc de permettre une prédiction du risque de la maladie basée sur les variations génétiques individuelles parmi l’ensemble des variations connues, communes comme rares.

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